Le petit sauvage by Jardin Alexandre

Le petit sauvage by Jardin Alexandre

Auteur:Jardin, Alexandre [Jardin, Alexandre]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature Française
Éditeur: Neosis - TAZ
Publié: 2012-05-06T22:00:00+00:00


Lucette Miro (1928 – 1992)

Chantai Bouvier (1940 – 1996)

Robert Pilonard (1934 – 1998)

Jacques Merlot-Vitochon (1932 – 1999)

On trépassait jeune au Collège Mistral…

Tintin s’arrêta derrière moi et dit en guise d’oraison funèbre :

— Oh, Merlot-Vitochon, il a glissé… et il a loupé le siècle, de justesse.

— C’est vrai qu’il était drôle Vitochon, ajouta Philo. En tout cas, le seul qui sera toujours là dans cinquante ans, c’est James Dean !

Philo ne pouvait se retenir de plaisanter quand la mort des autres l’effleurait. Celle de son jumeau lui était trop proche, et le serait toujours.

— Bon allez, fit-il, on n’est pas venu là pour compter les cadavres.

J’allais m’engager dans le grand escalier quand nous entendîmes du bruit, un claquement de porte. Recouvrant en une seconde nos réflexes de collégiens, nous nous planquâmes aussitôt dans le vestiaire.

Une sexagénaire sanglée dans une robe de chambre traversa le hall, une tasse de café à la main ; puis elle gravit d’un pas mécanique les marches qui montaient aux étages. Je la reconnus à l’anxiété que réveillait en moi son pas sonore d’automate.

— L’Esprit de l’Escalier… murmura Tintin en tressaillant.

Nous surnommions ainsi la redoutable Mademoiselle Rabutin, une vierge fielleuse qui avait pour mission de veiller au maintien de l’ordre dans les dortoirs du premier et du second étage. Toutes les nuits, elle déambulait dans les escaliers. Tromper sa surveillance tatillonne exigeait des trésors de malice. A chaque escapade nocturne, nous craignions tous de tomber entre ses mains moites, pour deux raisons. La première était qu’il nous amusait d’être effrayé ; il n’est pas de véritable Aventure sans péril, fût-il imaginaire. Quand elle nous cueillait, il était donc d’usage de raconter ensuite à nos camarades qu’elle s’était livrée sur nous à des supplices dits asiatiques ; prononcer ce mot garantissait une compassion considérable et une gloire durable. La soi-disant victime était aussitôt regardée comme un authentique rescapé. La seconde raison, plus prosaïque, était que l’Esprit de l’Escalier était effectivement sujette à des accès de sadisme. Mais les tortures asiatiques qu’elle nous infligeait n’allaient jamais au-delà de quelques coups de règle assenés sur l’extrémité des doigts.

Sur la pointe des pieds, nous suivîmes l’Esprit de l’Escalier. Bien entendu, Tintin râlait à voix basse :

— Si elle nous gaule, on aura l’air malin en caleçon…

Mademoiselle Rabutin frappa à la porte de l’ancienne chambre de Monsieur Bernay, notre professeur de gymnastique. Nous l’appelions Illico car ce costaud raffolait de ce mot qu’il accolait à chacun des ordres qu’il aboyait. Illico ouvrit ! Caché dans un renfoncement de porte, je l’aperçus nettement. Il n’était pas trop esquinté par les années ; mais sa corpulence ne m’impressionnait plus. L’Esprit de l’Escalier s’approcha de lui et, contre toute attente, l’embrassa sur les lèvres avec sauvagerie ! Puis elle disparut dans sa chambre.

Les Crusoé se regardèrent avec effarement. Nous étions tous persuadés que l’Esprit de l’Escalier était et demeurerait pucelle jusqu’à ce que mort s’ensuive. Qu’elle pût s’accoupler avec Illico me semblait aussi irréel que si le Petit Chaperon Rouge avait fait une proposition lascive au Grand Méchant Loup.



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